Élégie de l’avenir
« Tu salues cette éternité et son infime passager. », Jean Pérol, Morale provisoire
On naît pour mourir et l’intervalle aussi s’efface.
Le
temps qu’une fleur en pulpe sous les lèvres s’arrondisse,
D’autres lèvres tout à coup croisent et emportent
ce brin de terre sous son capuchon d’âme
(Il est rare que le corps à lui seul contienne toute une pensée)
;
Ou bien c’est une cerise, un abricot presque brûlant un
jour d’été, dans le palais ;
La saison tourne sur ses gonds, l’être – son fruit
– lentement se détache.
Quel petit d’homme en suspension sous le soleil ne termine sa
course folle au fil des vents dans l’herbe
Comme un cadavre en terre descendu d’où renaît plus
vif le chiendent, parfois un coquelicot ?
Mais le temps que poussent les étamines parmi les borborygmes,
Les doigts si doux, dans leurs ailes de bêtes à bon dieu,
sur les herbages,
Le regard emplit plus fort l’horizon. Le pas plus assuré,
les paupières se fendent et étirent l’arc de cercle
Du désir. Il pousse d’invisibles phalanges au bout des
cils. La pupille s’électrise, sans savoir
Qu’elle se dilatera des nuits, peut-être des années
durant,
Plus tard, toujours plus loin à en perdre jusqu’au sens
de l’espérance.
Cependant rien n’est sûr. Tout s’apprend par surprise,
par stupeur, et par gourmandise.
D’étranges coups caressent tandis que, maladroites, des
tendresses grondent et grêlent même.
La graine éclose se renfrogne. Le cœur croit sa bogue rentrer
ses pointes contre lui.
Il se trouve, à grandir, toujours plus à l’étroit.
Chaque déflagration le ligote davantage.
En fait de sève et de source, et de rires de Vouivres derrière
les roseaux,
Il n’est qu’une camisole aveugle avec la rage en cage sur
ses reins à terre.
… L’embellie attend son heure. La fleur qui ne sentait des
abeilles que le dard
Éclôt, voit sourdre et sourire sa pulpe. C’est l’été
souverain, le partage à son sommet.
Deux ne font plus qu’un. Le fleuve emporte entre ses berges les
rivières alentour.
Les bras rompus de caresses entre des doigts de flûte traversière,
Les lèvres trempées d’une rosée de miel tête-bêche
rameutées
Vers les deux sphinx au pied du cœur aux parfums d’orchidée,
Le corps entier torsadé de tendresse, un lierre des chevilles
aux cheveux de l’autre tant aimé,
Il n’est de mort que triomphale, le corps bientôt rassasié.
Temps sans pareil, d’une crête sans arête, temps du
toit du monde sur le monde avec toi,
Je te possède encore et toujours. Le bonheur m’emporte
immobile. Tu es la béatitude.
Et moi gisant sur ton âme, tes lèvres à mes lèvres
tissent
La grande toile de notre joie. L’hiver n’a pas de prise
et notre liberté fleurit.
Si la guerre siffle, éructe et ensanglante des peuples entiers,
je la regarde qui ne me voit pas.
À d’autres les cris d’orfraie, l’orgasme par
les armes, et les larmes.
On peut mourir sans laisser de trace que sa bonté, qui se perdra.
Si l’un trouve ici quelque graine, il saura que j’ai souri
d’une lumière d’étoile.
Tout brille à l’infini d’âmes qui ne sont plus.
Sans voix,
Elles murmurent tout ensemble le tumulte et la paix de vivre.
Pierre Perrin, Le Nouveau Recueil n° 55 [2000]