Pierre Perrin : les Petites, poème de la Vie crépusculaire [Cheyne, 1996]

Pierre Perrin, Les Petites


[La souris ici pour la version originelle, in La Vie crépusculaire, 1996 [épuisé]]
Certains soirs d’hiver, après l’école, il arrivait qu’un garçon prît d’assaut un pont de grange. C’était aussitôt un ralliement, sans aucun mot d’ordre, mais des cris surgissaient de l’ombre et des trilles se multipliaient. Soudain l’on explorait à pleins doigts des cavernes impubères, on pinçait, on enserrait les fesses chaudes comme des pains, d’où jaillissaient quelquefois de purs jus sous le nez. Les culottes fumaient, les gamines disaient non, haletantes, tendues, puis cédaient aux poignets en tenaille, aux bouches qui chargeaient les lèvres dans un ballet sans fin. Les seins novices fascinaient, leur galbe de neige frémissante, la si douce insolence des groseilles que les filles prêtaient à téter. Et l’on rêvait de mâcher et de pousser la langue plus loin qu’une bonde. Aucune perversion ; la révélation seule. Aux râles parfois succédaient des soupirs qui se fondaient dans la nuit, juste avant qu’un adulte, avec un hurlement de busard, ne renvoie tout le monde à la maison. Au matin, la mémoire lessivée, nul ne reparlait de ces fantaisies. C’était rare mais tellement bon ces parfums de violettes, ces arômes de noix, ces douceurs de vierges qui bêlaient à quatre pattes sous les étoiles. Par cœur, elles ouvraient les cuisses comme un oiseau le bec. Belles, elles attiraient, puis elles rejetaient comme elles avaient pris, d’un souffle, d’une raillerie, d’un silence définitif.

Pierre Perrin, La Vie crépusculaire, Cheyne éditeur, 1996 [épuisé]

Que, certains soirs, après l’école, au pied d’un pont de grange, un garçon mime un assaut, des cris fusent de l’ombre. C’est un ralliement.
Des doigts entrouvrent des cavernes, d’où jaillissent parfois de purs jus sous le nez. Des culottes fument, des gamines se tendent, haletantes, avant de se couler entre des bras en tenaille.
Au ballet de la bouche-étoile, des galbes de neige à l’insolence des groseilles à téter, ou bien mâchant des poils, chacun rêve de pousser plus loin la bonde.
Aucune perversion ; de part et d’autre, la révélation seule !
Aux râles parfois succèdent des soupirs, qui se fondent dans la nuit, juste avant qu’un adulte, avec un hurlement de busard, ne renvoie tout le monde à la maison.
Au matin, la mémoire lessivée, nul ne reparle de ces fantaisies.
C’est si suave et cruel à la fois, ces rares parfums de violettes, d’acacia, ces arômes de noix, ces mille douceurs à quatre pattes sous les étoiles.
Par cœur, elles ouvrent les cuisses comme un oiseau le bec, puis elles rejettent comme elles attirent, d’un souffle, d’une raillerie, d’un silence définitif.

repris in La Vie crépusculaire [ré]édition revue et corrigée en préparation

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