Pierre Perrin, La Bourrasque inachevée
Je marchais seul. Mes deux mains essuyaient mon visage. Il y perlait
une gelée violente. Un vent froid neigeait sur toute la campagne.
J’avais quitté le village, et descendais aux portes de la
lande. Elles ouvraient devant moi, de part et d’autre d’un
chemin où l’herbe toujours plus s’obstinait, une plage
fraîche. Ma peine s’y roulerait à discrétion.
À la faveur d’innombrables genêts, surgirait-il un
regard d’enfance ? Peut-être cette attente m’avait-elle
poussé dans la bourrasque ? Mais il n’était personne
à, mon côté, quand j’eusse aimé saisir
un bras comme autrefois ou bien crier que l’on m’attende et,
de mes petites jambes, lutter de force, courir. Je t’aimais. Ma
tête se faisait plus lourde comme si l’air, à mesure
que j’avançais sous la paupière des ruines, se raréfiait.
Ma vue déjà plongeait dans des abîmes. Elle encerclait
les falaises. Au creux d’un houx, pour respirer, je détendis
mon corps. Il s’affaissait. Mes bras étaient rouges, comme
frictionnés d’orties, mes jambes, tout. Midi, que je soupçonnais,
restait noir. Des nuages commençaient à crever. Une pierre
s’écrasa non loin, sur sa pointe-foudre. Je me traînai
jusqu’aux remparts. Je restai seul. Veut-on jamais mourir ? Cette folie m’a épargné.
Pierre Perrin, poème de Pleine Marge, 1972, repris dans Manque à vivre, 1985 [épuisé]
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Pendant un demi-siècle, la chute initiale de ce poème a tenu dans cette phrase : « La mort même déclina mon offre de l’aimer » – insuffisante chute à mes yeux. Le 6 juillet 2021, je la remplace par les deux phrases suivantes : « Veut-on jamais mourir ? Cette folie m’a épargné. »